A Londres, Paris et New York, les collectionneurs, courtiers et marchands observent le bouleversement dû à certains acteurs du marché, en l'occurrence les ventes publiques. Que s'est-il passé dans ces vénérables maisons datant du 18ème siècle et faisant partie à l'origine de " l'establishment " anglais ? L'auteur du présent article, actif dans le marché de l'art international, se demande combien il y aura encore d'interlocuteurs en vente publique en face de lui dans les années à venir.
Christie's et Sotheby's voient leur bilan afficher des résultats on ne peut plus rougeoyant. La raison : les amendes dues à l'Etat de New York pour entente et collusion sur les prix de vente d'œuvres d'art. Monsieur Taubman qui possède la majorité des " voting shares " de Sotheby's est même menacé de trois ans de prison ! Christie's, qui avait été racheté par Monsieur Pinault, a avoué rapidement mais se trouve aussi pénalisée. A elles deux, ces salles de vente doivent plus de 500 millions USD aux clients qui les ont poursuivis en justice.
Monsieur Arnault de L.V.M.H. vient aussi de terminer une mauvaise expérience avec Phillips en fermant de nombreux bureaux européens qu'il avait repris il y a à peine deux ans.
Fort de l'achat de Phillips, Monsieur Arnault a cru qu'il allait donner l'estocade aux deux grands et surtout à son rival, Monsieur Pinault. Son groupe L.V.M.H. acheta Phillips, vendue deux ans plus tôt à la société anglaise 3 i. Cette dernière l'avait acquise et la revendit selon la presse locale plus de trois fois la mise à L.V.M.H… !
Ce plantureux bénéfice fait sur le dos de L.V.M.H. ne s'arrêta pas là. La politique du nouveau directorat annonça clairement par la voix de Monsieur Arnault que les œuvres d'art pouvaient se vendre aussi bien que les valises Vuitton, notamment via internet !
Sur ces entrefaites, l'investissement du groupe L.V.M.H. dans l'E-commerce se retrouva au dixième de sa mise initiale. Cela ne découragea pas le groupe et la nouvelle direction de Phillips engagea quelques beaux noms du gotha européen dans le conseil d'administration à un tarif se situant à des années lumières du smig européen !
De même, la direction fut menée notamment successivement par deux anciens marchands d'art qui se retrouvèrent parachutés depuis leur ancienne boutique à une fonction de management à laquelle ils n'auraient jamais cru accéder il y a encore deux ans. L'un d'eux fut même racheté pour un prix avoisinant 70 millions de livres sterling, selon The Art Newspaper, c'est-à-dire quelques fois le prix d'achat initial de Phillips quand la société fut revendue à 3 i avant d'être négocié à nouveau avec un gros bénéfice à L.V.M.H…. !
Après avoir inondé le marché de publicité, la société Phillips s'est trouvée hélas exsangue à la fin de cette année 2001. Leur mauvaise gestion et la politique de garantie des prix à New York lui ayant notamment coûté une fortune. C'est-à-dire que l'auctioneer avait garanti un certain prix au vendeur quoi qu'il arrive. Il devint donc un marchand en se substituant à l'acheteur.
Tout rêve a donc une fin ; on n'achète pas encore une réussite avec un carnet de chèque. Cet échec en est une preuve flagrante. L'amateur de champagne, de valises ou de vêtements coûteux ne se conduit pas spécialement comme un collectionneur d'objets d'art. L'amateur d'objets de luxe contemporain n'est pas forcément avide de culture. S'il peut aimer aussi l'esthétique, il est rarement le client acheteur de l'objet rare et en possède rarement lui-même. Il s'orientera plutôt vers le contemporain.
Après avoir renoncé à essayer de gérer le " middle market ". Phillips décide alors de se consacrer aux tableaux modernes et contemporains, bijoux, montres et objets 20ème siècle principalement et d'abandonner ainsi les trois-quarts du segment du marché.
Suite à ces péripéties, Phillips accuse actuellement une perte de plus de 180 millions de livres sterling selon le Guardian du mardi 11 décembre 2001. Du jamais vu dans la petite histoire du marché de l'art. Afin de sortir de l'ornière, L.V.M.H. a cédé 51 % de ses actions à Bonham's, petite société anglaise datant aussi du 18ème siècle, inconnue du grand public jusqu'à aujourd'hui.
Cette dernière menait une existence paisible jusqu'il y a deux ans, dans le Sud de Londres, à Knightsbridge, où elle tenait une position régionale appréciée et tout aussi sérieuse que Phillips. C'est alors que surgit le chevalier blanc en la personne de Robert Brook. Celui-ci, expert en voitures de collection, avait monté ce qui était devenu la première salle de vente au monde de voitures avec un chiffre d'affaires avoisinant les 30 millions de livres sterling (sa dernière vente Ferrari à Saint Moritz du 18 décembre 2001 fut un succès).
Non content de sa position, il acheta habilement la majorité des parts de Bonhams et doubla ainsi son chiffre d'affaires.
L.V.M.H., cherchant à se défaire des activités Phillips en Angleterre et d'autres pays, lui a cédé la majorité. Voilà notre chevalier blanc propulsé au troisième niveau mondial après Christie's et Sotheby's avec un chiffre d'affaires avoisinant les 150 millions de livres sterling !
Monsieur Brook rentre par la grande porte de Bond Street, abandonné par Phillips, et se retrouve à une des plus prestigieuses adresses d'Angleterre et du monde des Auctioneers.
Le petit a absorbé le grand ; David a mâté Goliath.
Certes, celui-ci n'a pas encore l'aura ni le réseau mondial des autres, mais il a une position de pointe et, contrairement au management de L.V.M.H., il connaît surtout son métier et est issu du cru.
Mais Monsieur Arnault n'aurait peut-être pas dit son dernier mot dans le marché de l'art. On chuchote que Sotheby's, ayant un genou en terre (le titre ayant fort chuté en bourse), Monsieur Arnault pourrait faire une proposition d'achat à Monsieur Taubman. Ron Baron, qui est le deuxième actionnaire le plus important, a déjà dit que ses parts étaient à vendre. Mais cette histoire fera sûrement partie d'une autre saga.
Comme les autres sociétés, le monde de l'art subit aussi la mondialisation. S'il a été le jouet de certains capitaines d'entreprise, il s'est aussi avéré être un univers peu rentable pour un investisseur et surtout pas pour les mégalomanes. Les exemples de grands groupes financiers qui s'en sont mêlés (compagnies d'assurance, banques, fonds de pension, etc.) ont plus souvent essuyé des échecs que des bénéfices.
Le monde de l'art ne s'achète pas, il vaut mieux le contempler, il sert rarement un bénéfice aux spéculateurs car il est allergique au dividende et ne comprend pas ce jeu. Quant aux plus values, elles se font dans un cercle d'initiés seulement, d'où sont exclus ceux qui ne parlent qu'avec leur portefeuille.
Le rachat éventuel de Sotheby's pourrait-il signer la disparition de certaines autres salles de vente restant encore dans le giron de L.V.M.H. ! En effet, entretenir trois images de marque telle que cela se passe maintenant pourrait se révéler trop coûteux et la concurrence qui en découlerait serait une perte d'énergie au lieu de se révéler une synergie. A suivre donc…
aux d'avant 1900 principalement connaissent des prix de plus en plus affirmés. Léon Spilliaert avec des œuvres d'avant 1914 connaît lui aussi un fameux regain d'intérêt. Knopff et Ensor, pour les bonnes périodes et sujets, défraient aussi les chroniques tant nationales qu'internationales des ventes. Que dire des bonnes œuvres d'Alechinsky et du groupe Cobra des années 1948 - 1952 qui connaissent toujours un succès grandissant. On terminera avec Maurice Wyckaert qui n'est pas encore membre du gotha des noms précités mais qui a doublé gentiment sa cote en quelques années, c'est-à-dire de 300.000 BEF à 600/700.000 BEF pour sa période recherchée et des œuvres d'un grand format… !
Conclusions
Si le détenteur d'un objet d'art de qualité s'y retrouve parfois financièrement dans le temps, c'est grâce notamment à la rareté et la mode qui font monter les prix. Pour les courtiers, marchands et auctioneers le problème est différent. Leur chiffre d'affaires stagne pour certains vu la rareté de la marchandise. Heureusement l'explosion des prix des bonnes pièces avec la rareté vient compenser ce manque à gagner.
L'art de s'exprimer à l'aide d'un support n'est pas donné à tout le monde. Les artistes ont la possibilité de se faire consacrer par la vente de leurs œuvres. Mais seul le marché a le dernier mot et la mode, la conjoncture et les aléas économiques et sociaux font le reste.
Le marché de l'art comme d'autres marchés connaît des hauts et des bas. Celui-ci a aussi brûlé ce qu'il a aimé, vilipendé ce qu'il a adoré et oublié ce qu'il a promu. Le marché de l'art a quand même un grand mérite, c'est de mettre notamment l'argent au service de certains bons artistes qui sans ce véhicule tant décrié par certains n'arriveraient jamais à la reconnaissance internationale qui leur est justement due.